Les vers de terre (Lumbricinae)
Publié le 26/01/2024
Vous avez été nombreux et nombreuses à nous proposer de parler d’une espèce animale peu populaire, nous avons donc choisi pour ce premier zoom espèce de l’année de vous parler des vers de terre ! Mis à part quelques idées reçues connues, comme le fait qu'ils sont de bons auxiliaires du compost du jardin, nous ne connaissons en général pas grand-chose sur eux. Alors c'est parti pour un zoom sur les lombrics !
Un peu d'histoire
Les vers de terre ont fait leur apparition sur Terre au Précambrien, il y a environ 600 à 700 millions d'années. Cependant, c'est véritablement au cours de l'ère du Cambrien, il y a environ 540 millions d'années, qu'ils ont commencé à se développer. Ils ont prospéré au Paléozoïque, entre 280 et 235 millions d'années, lorsque les forêts se sont étendues. Au cours de cette période, ils ont subi des évolutions significatives dans leur système digestif, qui par un puissant travail du sol, a contribué à former un humus très fertile et aéré, appelé le mull.
Description
Aussi appelés lombrics, les vers de terre sont des invertébrés de l'embranchement des annélides, appartenant au sousordre des Lumbricina qui comporte 13 familles et plus de 7 000 espèces connues à ce jour. Certaines espèces sont semi-aquatiques, ce qui signifie qu'elles respirent périodiquement de l'air en surface à l'aide d'un siphon. En France, on recense environ 150 espèces, dont les plus communes sont le ver de terre commun, Lumbricus terrestris, le lombric des marais, Lumbricus rubellus, ou encore le ver du fumier, Eisenia fetida.
Lombric des marais, Lumbricus rubellus
Les vers de terre sont classés en fonction de plusieurs caractéristiques, notamment par la position de leur clitellum (la région élargie du corps où se forme le cocon contenant les œufs), leur longueur, leur forme (cylindrique ou aplatie), leur nombre de segments corporels, le type et la disposition de leurs soies, ainsi que la morphologie de leurs orifices génitaux.
Chaque anneau, appelé segment, est généralement pourvu de quatre paires de courtes soies sur la face ventrale, ou d'une rangée de soies tout autour dans le cas de la plupart des espèces tropicales. La taille et la forme de ces soies varient en fonction du mode de vie et de la façon dont ils se déplacent. Les deux premiers segments et le dernier ne possèdent pas de soies, car il s'agit de la bouche de l'animal, et de son anus. Le tube digestif des vers de terre est assez complexe, comprenant un pharynx servant de ventouse pour aspirer les aliments dans les galeries, ainsi qu'un broyeur pour les triturer. Les aliments passent ensuite dans le jabot, où ils reçoivent un apport de carbonate de calcium provenant des glandes de Morren, également appelées glandes calcarifères, propres à certains vers de terre. Ces glandes émettent donc des excrétions qui ont un PH basique lors de leur élimination. La matière organique et minérale formée par la digestion des lombrics est appelée turricules ou tourillons.
Turricules de vers de terre
C'est la raison pour laquelle les vers de terre sont de véritables travailleurs du sol ! Un seul vers peut digérer entre 40 et 600 tonnes de terre sur un hectare ! En groupe, ils peuvent ainsi ingérer, digérer et brasser la totalité de la terre arable d'un hectare en cinquante ans. Chaque jour, un vers de terre peut traiter 20 à 30 fois son poids en volume de terre. Autre particularité, ils sécrètent dans leurs intestins des drilodéfensines qui leur permettent de digérer les tanins des feuilles.
Espèce clé des écosystèmes terrestres, c’est en triturant les débris d’animaux et de végétaux que les lombrics facilitent la décomposition de la cellulose et de la lignine des plantes. Les champignons et les bactéries interviennent ensuite pour poursuivre le processus de décomposition.
Ne possédant pas de poumons, ils respirent par voie cutanée. Pour ce faire, ils doivent constamment rester humides, car c'est la couche de mucus hydrophile qui leur permet de respirer.
Au niveau des autres organes, les lombrics sont bien dotés. Ils possèdent un système circulatoire constitué d'un gros vaisseau dorsal contractile qui propulse le sang vers l'avant. En outre, ils disposent de cinq à sept paires de cœurs latéraux qui reprennent le sang et l'acheminent vers l'arrière à travers un vaisseau ventral. Leur métabolisme s'ajuste en fonction des températures extérieures, ce qui signifie que les vers de terre entrent en léthargie pendant les périodes de grand froid ou de sécheresse.
Pour leurs déplacements, ils utilisent un système de contractions, dites asynchrones, des muscles longitudinaux et circulaires.
Concernant leur reproduction, les vers de terre sont tous hermaphrodites. Certaines espèces peuvent même se reproduire sans accouplement, par parthénogénèse, en réussissant à former un ovule sans fécondation mâle. Dans tous les cas, la reproduction aboutie à la création d’un cocon qui peut contenir jusqu’à une vingtaine d'œufs ! Une fois éclos, le cocon donne naissance à une larve vermisseau. Dès le début, cette larve est capable de vivre de manière autonome dans son environnement et de se développer jusqu'à l'âge adulte.
Écologie
Comme nous l’avons dit, les vers de terre jouent un rôle indispensable dans l’équilibre et la fertilité des sols. Ce sont un élément-clé des écosystèmes terrestres.
Petits ingénieurs sans pattes, ce sont des animaux fouisseurs qui contribuent au mélange permanent des couches du sol. Ils jouent un rôle majeur dans leur structuration et dans la régulation des cycles des nutriments. La qualité de la structure des sols revêt une grande importance pour la vie sur Terre, car elle détermine la capacité à retenir et à épurer l'eau.
À l’exception des sols trop acides, on trouve les vers de terre dans tout type de sol, tropicaux ou tempérés. En général, on compte entre 50 et 400 individus par m2, bien que ce nombre puisse atteindre jusqu'à 1 000 individus par m2. Cette densité équivaut à une biomasse de 1 à 3 tonnes par hectare dans nos prairies. Sur la planète, leur poids total serait vingt fois supérieur à celui des hommes !
Vous l’aurez compris, par leur rôle d’ingénieur de la structure des sols, les vers de terre sont primordiaux dans le fonctionnement de nos systèmes agricoles. En plus de ça, ils raffolent et « recyclent » les épandages de fumier de bovin, de telle sorte que l’on trouve plus de lombrics dans les zones d’épandages : leur chiffre peut dépasser les 1000 individus par m² ! Pour leur participation au labourage, l'utilité économique des vers pourrait même dépasser le milliard d'euros, un fait de plus qui nous montre qu’Humanité et Biodiversité sont liées.
À la fois espèces ingénieurs, espèces clé de voûte ainsi qu’espèces bio-indicatrices et espèces fourragères, les vers de terre ne sont cependant pas les seuls occupants du sol, comme nous vous l’avons d’ailleurs présenté dans notre guide illustré Mon jardin en ville.
Schéma sur la vie du sol, dans le guide illustré Mon jardin en ville
Les lombrics ont également un impact significatif sur la productivité de certaines espèces végétales, par exemple, en milieu prairial, les légumineuses gagnent plus de 35 % de productivité en leur présence. De plus, ajouter des vers de terre dans le sol d'une culture de soja ou de maïs en augmente la production.
Tout comme les blaireaux finalement, les vers de terre vont créer des milliards de galeries dans le sol, permettant à d’autres espèces d’utiliser ce réseau.
Les vers de terre font face à de nombreuses menaces. Dans les zones d'agriculture intensive, on observe une nette régression du nombre de vers de terre. Cette tendance contribue à la diminution drastique du taux de matière organique dans les sols européens, qui a été divisé par deux depuis 1950, constituant ainsi une véritable catastrophe écologique. En 1950, les sols européens abritaient environ 2 tonnes de vers de terre par hectare, mais ce chiffre est tombé à moins de 100 kilos par champ cultivé en 2010 !
Dans les champs en agriculture biologique, ou dans l'agriculture semi-direct (sans travail du sol), on y trouve davantage de lombrics. Cependant, même dans l'agriculture biologique, l'utilisation de traitements contenant du cuivre, tels que la bouillie bordelaise, a un impact négatif sur eux. Actuellement, dans les zones agricoles soumises au labour intensif, à la monoculture ou à l'utilisation de pesticides, on observe une diminution drastique des populations de vers de terre. Dans des environnements tels que les terrains de golf, de football, de rugby et de hockey sur gazon, où l'utilisation de produits pour les éliminer directement est courante, le développement des vers de terre est nettement compromis.
Enfin, une grande menace provenant d’Océanie et d'Asie du Sud-Est plane sur nos vers de terre : les espèces de la famille des Plathelminthes, de grands vers plats exotiques invasifs importées accidentellement par l’homme. On citera notamment l’espèce néo-zélandaise Arthurdendyus triangulatus qui sont en train de faire disparaître les lombrics, ce qui engendre un important déséquilibre écologique.
Une espèce de Plathelminthe, l'Arthurdendyus triangulatus
Face à ces multiples menaces, il est impératif de prendre des mesures pour favoriser le développement de nos amis visqueux !
Le lombric et l'Homme
L'étude des vers de terre est appelée la géodrilologie, et elle est menée par des géodrilologues.
En 1881, Charles Darwin exprimait déjà cette perspective dans ces termes : « Il est douteux qu'aucun animal quel qu'il soit, ait joué un rôle équivalent au ver de terre dans l'histoire de la nature ». Il avait observé que les vestiges archéologiques étaient souvent préservés grâce à un enfouissement rapide sous la terre, un processus réalisé par les organismes vivants du sol. Cela l'a conduit à reconnaître l'importance cruciale de ces organismes fouisseurs, comme les vers de terre.
Une croyance populaire veut qu’un ver de terre coupé en trois donne naissance à trois vers de terre. En réalité, coupé en deux, une seule partie peut éventuellement survivre selon la position de la coupure par rapport aux organes vitaux qui sont la tête et les organes sexuels. Dans ce cas, la partie antérieure a une capacité limitée à partiellement reconstituer des anneaux postérieurs manquants : ce phénomène de régénération est donc très limité chez le ver de terre et résulte d’une confusion avec le pouvoir de régénération bien réel d’autres espèces comme les vers marins. Souvent expérimenté par les plus jeunes, le découpage des vers de terre est une pratique stupide et néfaste, résultant d’une fausse croyance, alors n’hésitez pas à en parler autour de vous.
Depuis longtemps, les vers de terre sont également utilisés pour servir d’appâts pour la pêche. En ce sens, plusieurs espèces de lombrics sont élevées et vendues pour la pêche mais aussi pour la production de compost.
L'Homme et le ver de terre
Petit aparté, cela ne concerne pas les vers de terre mais un ver marin, l’Arenicola marina. Le biologiste français Franck Zal a trouvé sur une plage de Bretagne ce petit ver qui possède une hémoglobine extracellulaire, molécule permettant de de transporter 40 à 50 fois plus d’oxygène que les globules rouges. Cette molécule est une formidable trouvaille pour la médecine, puisque depuis peu, elle est utilisée pour maintenir en vie les greffons pour les greffes d’organe. La nature porte en elle bien des solutions, même chez les animaux les moins considérés !
Les lombrics dans une Oasis Nature
Les vers de terre sont des mets de choix pour une liste d’espèces à n’en plus finir : merle, grive, rouge-gorge, troglodyte mignon, mésanges, roitelet, bergeronnette, pie, étourneau sansonnet et autres pics. Certains oiseaux comme la bécasse des bois se sont même spécialisés dans leur capture, avec un bec adapté. Les insectes volants, dont les coléoptères et les guêpes, s'attaquent aux vers en les mangeant ou en y pondant des œufs parasites. Les carabes, mille-pattes, lézards, salamandres et crapauds s'en nourrissent également en abondance.
Merle se nourrissant de lombrics
En somme, la présence abondante de ver de terre est un gage d’un jardin fréquenté par de nombreux oiseaux, insectes et petits mammifères comme le hérisson, la musaraigne et la taupe.
Enfin, tous les mammifères carnivores, à l’exception des félins, mangent des vers : du blaireau au loup, en passant par la loutre, le sanglier, le renard, la genette et la belette. L'alimentation en vers de terre est cruciale pour certaines espèces, même si ce n'est pas leur premier choix alimentaire. Cela permet à certaines espèces de survivre pendant l'hiver lorsque la nourriture devient rare !
Voici quelques conseils à privilégier pour retrouver cette formidable espèce animale dans votre Oasis Nature :
- Apportez à votre sol des matériaux riches en débris végétaux tels que des feuilles mortes et de l'herbe. Installez un compost dans lequel les vers se développeront.
- Pour ne pas les déranger, mieux vaut éviter de retourner le sol en profondeur : oubliez la fourche-bêche qui pourrait s'enfoncer trop profondément et les perturber. Privilégiez des outils tels que la grelinette ou l'aéra-bêche si vous souhaitez travailler le sol du jardin, surtout au potager. Éviter de travailler la terre de mars à avril et de septembre à octobre ou sous des conditions très humide. De même, l’usage des méthodes de permaculture permettent de favoriser la présence et l’action des vers de terre. Encore une fois, vous pouvez en apprendre plus sur les techniques de permaculture dans notre dernier guide illustré, Mon Jardin en ville.
- Ne videz jamais un surplus de produit de traitement, même dit « biologique » sur la terre, Il est préférable de laisser le sol aussi naturel que possible, car les vers de terre sont très sensibles à l’acidification comme nous l’avons dit précédemment.
- Évitez également de trop compacter votre sol qui compromet le passage et le développement des vers de terre. L'ajout de paillis sur votre sol potager et sur vos lieux de passages fréquents aidera à lutter contre le tassement naturel et humain.
L'usage des lombrics est aussi possible dans un lombricomposteur pour transformer vos déchets alimentaires en substrat noir, un fertilisant unique que vous pourrez utiliser pour amender le sol de votre Oasis Nature ou de vos jardinières de balcon.
Lombricomposteurs
Profitez ainsi des merveilleuses fonctions que les vers de terre ont à apporter à votre sol ! Pour en savoir plus sur ce milieu foisonnant de vie, procurez vous également notre nouveau pack de 20 fiches pédagogiques Oasis Nature où figure la fiche N°15 « Les Sols » dans la collection Refuge.
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Crédits photos : Canva, Pixabay et Wikipédia Common
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